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Dalie Farah -"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'histoire"
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Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin l’amour vrai, la vie vraie, le cinéma vrai.

Sans amour, sans amour, qu’est ce que vivre veut dire ? chantent les compagnons de Don Quichotte de la Mancha.

Rien.

Rien parce que la vie, cité phocéenne, banlieues, foyer, pas d’argent, abandon, c’est la merde.

La merde pour Shéhérazade qui baisse le jean et soulève le débardeur pour trente euros, et se laisse baiser pour cinquante. S’il y en a trois, c’est 250 euros.

La merde pour Zacharie qui vole, à main armée, à l’arrachée, en réunion et va en prison, et en sort et se retrouve tabassé pour cinquante euros. Parfois, ils s’y mettent à trois.

Mais c’est comme dans Musset, le « monde est un égout sans fond », c’est sûr, « les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange », c’est vrai aussi. « mais s’il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.» Pas mieux.

C’est ça l’histoire de ce film qui a explosé tout ce que j’avais de résistance en moi ce dimanche au ciné-capitole.

Le mystère amoureux se développe dans ce film par le silence, les non-dits, le contact enfantin et animal des corps qui sont seuls, tellement seuls qu’on en crève d’empathie dans son siège de cinéma.

Aimer ça coûte rien ou beaucoup, voire beaucoup trop. Pour Zacharie et Shéhérazade cela a de la valeur, et ce n’est pas parce que le premier devient le proxénète obligé de la seconde prostituée obligée que cela change quelque chose. C’est la main sur une nuque qui nous le dit, c’est en gros plan.

On serine : mais c’est qu’une pute. C’est vrai.  Elle aime n’importe qui vu qu’on la paie pour ça. Et l’autre ? C’est un pas grand-chose ce Zacharie qui tape dans tout ce qui lui passe sous les yeux quand il ne comprend pas le réel qui s’acharne à l’emboucaner.

Ce film m’a laissée dans un état complexe : l’expérience d’une beauté absolue dans le va et vient des registres cinématographiques, depuis des plans projetés sur des miroirs à une caméra qui bouge quand le gamin escalade les grilles du foyer. L’expérience d’une histoire qui fait écho et résonne -encore – dans ces questions que je n’ai pas résolues. La trahison de classe sociale, la trahison du verbe, la trahison du fric, la trahison de savoir écrire le mot ecchymose. Et l’écho des secrets du passé que je tasse sous des Lagarde et Michard.

Je sais bien que ramener ce film à une résonance subjective a quelque chose de dégueulasse.

Mais comment ne pas être émue à cette loyauté qui fait loi pour épouser la morale réactionnaire qui veut qu’une pute c’est rien et un trans encore moins, et un pauvre encore pire, et une balance alors là, je dis pas.

Il y a peu d’interstices à la joie sauf à se l’inventer mais pas trop fort pour qu’on ne vienne pas vous la piétiner.

Comment ne peut-on être émue à cette puissance qui émane de ces deux personnages qui finalement puisent dans l’imperfection de l’autre le pouvoir de vivre et d’aimer ? Existe-t-il une définition de l’amour qui soit moins juste que ça ? Une puissance partagée, sans mot dire, sans discours, sans serment, juste dans la tendresse discrète de deux corps qui se touchent.

Ce film montre deux comédiens – qui ne le sont pas- extraordinaires de vérités, un scénario qui pèse comme cette épée, la fameuse Damoclès qu’on voudrait pendue à une corde de jonc plutôt qu’à un crin de cheval. J’ai peur à chaque moment de bonheur, on attend la chute car on n’imagine pas que ces créatures de fange puissent se permettre le luxe des vestes en faux cuir sans recevoir le châtiment de leur démesure. Parce que leur association amoureuse devient économique et entrepreneuriale : la tendresse dissimulée de Zak devient la protection virile du proxénète. Et c’est la belle vie : Shéhérazade peut faire la pute avec une belle mini-jupe moulante et un cuir jaune skaï. Et ils peuvent aller voir la mer en scooter sans casque.

C’est beau comme une romance et l’on s’aime dans la boue tout autant que dans la soie.

C’est pas mieux, mais c’est pas pire de chercher dans l’horizon d’un ciel une éternité amoureuse quand on range ses billets dans son matelas ou quand on place son fric en bourse.

L’amour et sa vérité m’ont toujours portée  à choisir la vie, la vie en premier, le vivant avant tout et c’est ça qui est beau aussi dans ce film. Et à tout prix. Ça coûte cher d’aimer à tout prix, c’est-à-dire, à renier le médiocre, à renier l’habitude, à renier le faux pour aller vers ce qui bouleverse et trouble. Ce n’est pas la passion, c’est cette tendresse calme quand Zak et Shera s’endorment : le premier se blottit, la seconde suce son pouce en collant son front contre lui.

Le cinéma qui dit la vie, la littérature qui dit la vie, c’est devenu ma came, pourtant il est question d’un conte dans le titre. Du nom de celle qui raconte pour ne pas mourir. Elle s’appelle Shéhérazade.

Je voudrais être Shéhérazade, la pute et l’autre, celle qui empêche la mort en racontant des histoires. Je voudrais ce talent : celui de dire le juste du réel avec la puissance du mystère amoureux.

Le réalisateur le possède et c’est magnifique.

Parce qu’il est impossible de ne pas être amoureuse de ces amoureux-là.

Dalie Farah

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