Relire Ubu Roi par Michel J. Renaud et la psychanalyse
On peut lire « Ubu roi » comme une satire, ou plutôt une bouffonnerie politique — du moins en invoquant l’intentio operis : Jarry déclarait que la gidouille de son fantoche avait été gonflée par la critique de plus de symboles qu’il n’avait eu l’intention d’y mettre.
Satire encore et toujours d’actualité : le père Ubu, comme nombre de ceux qui prétendent nous gouverner, est avide de « phynance », cupide et glouton. Au début de la pièce, il s’empiffre avant de souiller la nourriture. Le père Ubu n’a rien d’un gastronome ; manger revient pour lui, selon la formule de Verville, à « faire de la merde avec les dents » ; provisoirement repu, il juge que « la merdre n’était pas mauvaise »… Ce n’est pas manger qui est intéressant : c’est déféquer. Tout cela s’inscrit dans une isotopie qui court des écrits patristiques à la psychanalyse, en passant par l’alchimie. Saint François (!) assimile l’argent au « crottin du diable », Sándor Ferenczi (« Pecunia olet », « Ontogenèse de l’intérêt pour l’argent ») démontre que le goût de l’argent est, pour l’adulte, la transposition de l’intérêt du petit enfant pour ses excréments, auxquels se substitueront successivement la gadoue et les pâtés de sable, les billes, les objets de collection et… les gros sous.
L’avare, l’individu cupide est resté au stade anal ; cependant, il ne joue plus innocemment avec son caca : l’éducation lui a appris que c’était sale. Le riche policé est un riche honteux : il cache son magot comme le chat recouvre sa crotte. De l’enfance, il a gardé toutefois la faculté de mentir effrontément (La Bruyère, Léautaud), de pleurnicher lorsqu’il est pris en défaut…
Notre François, qui lui n’est certainement pas un saint — ni de « ceux qui pour louer Dieu / Humbles se courbent au lieu / le plus secret de l’église, préférant faire ses dévotions sous l’œil des caméras — est décidément un cas intéressant.
Pour le politologue, comme pour le psychanalyste.
Michel J. Renaud