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Dalie Farah -"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'histoire"
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Phantom Thread : à voir, à broder, à repriser et à méditer.

Phantom thread

Aux Ambiances de Clermont-Ferrand, ce samedi soir-là, c’est ciné art et essai version Télérama patiné de nouvel obs mais je suis bien avec Pierre et Claire qui a dû ranger ses béquilles sur le siège devant elle. Il y a un téléspectateur glaireux mais pour le reste, un samedi soir en Auvergne, on est au calme et on ne s’attend à rien.

J’aime bien le début, les pieds et les mains, les gens qui s’affairent et comme je n’ai rien lu et rien vu – je déteste les quatrièmes de couvertures et qu’on me dise avant que je vois – et bien je ne sais rien, c’est Mamie qui m’a dit que c’était bien.

On est dans les années 50 et c’est beau ; je veux la robe de Cyril, la sœur du protagoniste ce créateur dont on voit dès les premiers plans la beauté de la rigueur et la rigueur de la beauté : Reynolds Woodcock. Et la robe de sa sœur, c’est une robe qui tient le cœur, le torse, le cou et le cul et qui retient in extremis les jambes qui trottent dans une maison de haute couture aux moulures ostentatoires. J’adore les gros plans sur les rides des femmes qui vendent et achètent les robes et le visage lisse de celles qui les portent. On est dans le suranné et en même temps, il y a une manière de filmer comme un film d’action qui nous dit bien qu’on est en 2018. Ce n’est pas un biopic, c’est autre chose. Quoi ? Ben, c’est une bonne question.

Film de mœurs ? non. Film social ? non plus. Film culturel ? hein ? Ce n’est pas ma culture lacunaire qui pourrait répondre. Mais faute de culture il est toujours bon, quand on va au cinéma, d’avoir un corps et des sens. Ce qui me fait bizarre au début c’est le piano, les violons. La musique me dit en permanence que je n’ai pas intérêt à me croire là parce que je suis ailleurs, elle est destabilisante. D’ailleurs, je compte revoir le film pour la musique : j’ai bien senti qu’il y avait quelque chose à dire de ce côté-là mais je n’ai pas pu tout comprendre à la fois.

Bref, on est dans une maison de Haute-Couture, Woodcock – traduisible paraît-il par « bite en bois » ou « bécasse »- , maison qui se voit déclassée au cours du film par l’œuvre du temps et de la mode. On sent déjà là un soubassement humoristique qui ne quitte pas le film même quand il vogue vers des registres plus dramatiques.

Mais, la couture n’est pas le sujet tout en étant le sujet.

On verra un seul défilé qui ne sera là que pour dire la puissance du créateur-maître et sa faiblesse. Il habille les femmes, sublime leur corps, les mesure mais au fond reste au bord de leur corps. Et quand il s’est vidé de son acte de création au propre comme au figuré, il n’a plus rien : il est creux et revient en lui des réminiscences, car l’homme est empreint du souvenir de sa mère, du corps défunt de sa mère. Dans un de ces vides, un matin, il rencontre quelqu’un : Alma. « Alma » qui veut dire « âme. »

J’avoue : j’ai adoré la rencontre. J’ai adoré le côté Wuthering Heights.

Il y a la lande, le vent, deux mains qui s’enchâssent et c’est une sorte de coup de foudre prometteur. La soubrette maladroite aura droit à une vie de mannequin et l’homme mûr aura droit à une nouvelle muse. Une jeune fille au sourire chaleureux des tartines beurrées, aux petits seins et à la mensuration parfaite pour défiler peut offrir sa jeunesse à l’homme-créateur qui prophétise la mode au petit-déjeuner.

Mais, ce à quoi j’ai vite pensé, c’est à La leçon de Ionesco. Dans la pièce de théâtre, le début de la pièce montre la fin : une élève remplace une autre car il suffit à la bonne de jeter, de cacher le cartable de celle qui a précédé et donc qui a succombé à la folie meurtrière du maître pour qu’une nouvelle élève vienne subir la leçon.

Le couple du maître et de la disciple est un couple fécond ou mortifère.

Dans ce film, on glose sur le couple, les relations de ce Pygmalion pris au piège de sa Galatée, il y a à dire sur les renversements complices de domination, sur le jeu des limites de la jouissance à dominer et à être dominé, de protéger et de mettre en danger, pourtant c’est un angle autre qui m’a plu. Phantom Thread,  c’est un fil qui fait des boucles et des biais et c’est normal dans le milieu de la mode. Surtout, ce qui m’a plu ; c’est qu’il y est question de ce qui est unique.

Les robes sont uniques : ce sont des pièces qui sont cousues sur le corps des femmes.

Chaque robe porte l’empreinte du maître et la moulure des formes de la femme. C’est la perfection de la création. C’est bien ainsi que Dieu créa la femme. Les scènes d’ajustement du vêtement sont des scènes qui performent l’acte de création comme une affaire artisanale, manuelle, minutieuse et vulnérable, mais toujours comme un acte unique : one shot. La robe de mariée, comme si aucune robe de mariée n’avait jamais été créée. D’ailleurs, lorsqu’une Barbara, ivrogne à la richesse douteuse ne se trouve pas digne de porter une robe, elle en sera dévêtue : cruel mais juste.

Du coup, ce que je comprends de ce film, c’est la possibilité, le désir fou d’être unique pour l’autre, d’être tellement unique qu’aucune limite ne peut empêcher la démonstration de cette unicité. Dans l’amour social, le mariage est une tentative de valider, de circonscrire cette unicité, mais elle est trompeuse et vite dévorée par le quotidien bruyant des toasts qu’on beurre, des collections à organiser, des rendez-vous avec la presse etc.

Quand le créateur Reynolds Woodcock rencontre Alma, il ne sait pas qu’elle va être en quête de cette unicité : de la sienne, de la leur, de leur couple. Il n’y a rien de pire que de se rendre compte que rien n’est nouveau et que nous ne sommes que des doubles plus ou moins éteints des autres. Alma le sait, et veut que sa vie soit à l’image de sa rencontre.

Just two of us.

Alma est choisie par le créateur et on ne s’en étonne pas : il est beau -handsome-, riche, adulé ; elle est serveuse, et il la remarque au moment où elle trébuche et manque de renverser un plateau. Pourtant, Alma choisit aussi Reynolds, car au moment où il l’invite à dîner, elle a déjà préparé un papier avec son nom : ils savent tout deux qu’ils sont tout à coup unique l’un pour l’autre. C’est lui qui mettra le plus de temps à l’accepter.

En dire plus serait briser le plaisir de ce film qui est dans une attente qui ne veut pas attendre, dans une maîtrise qui se met en pyjama faute de rester en costume.

Donc : une maison de haute couture, un homme, une femme et un désir qui ne veut pas jouer à désirer, cela fait un film passionnant, beau, qui énivre, crispe et donne le tournis. Le cinéma qui ne fait pas de cinéma, mais qui en est.

Il y a une phrase, une, que je laisse pour conclure parce qu’elle m’a émue ; c’est Alma qui la prononce au moment de l’épisode Wutherings heights : « Quoi que tu fasses, fais-le avec soin. »

Take care.

Toute relation amoureuse devrait porter cela comme adage.

Dalie Farah

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