Le secret par Claire Demange
LE SECRET
Rien. Rien que des monticules inertes, sur lesquels s’accrochent quelques herbes folles. Assez folles pour tenter de prendre racine. Dans ce rien sans consistance, sans substance, sans matière .Dans ce sans.
Dans ce sans vie. Les herbes folles exacerbent l’absence, le non être. Ces herbes sont folles d’exister.
Lorsqu’ exister est un pari, un défi, un déni, c’est peut- être que la vie se confond avec le vide ou que le précipice la guette, ou qu’elle a déjà sombré dans le précipice. Les herbes folles sont une tentative pour trouver un point d’ancrage, les monticules sont les berges du précipice.
Elle se souvient de la vie d’avant, car il y eut une vie avant, une vie de fleurs épanouies au soleil, de verdure luxuriante. Avant. Lorsqu’ une main jetait une semence, graine d’avenir, graine de sens.
Quelle main ?
La terre est désormais stérile, sans main de jouvence. Le temps est sourd et aveugle, ne passe plus.
Qui suis-je ? Je ne suis pas une herbe folle. Je regarde. Je cherche un signe mais je me souviens aussi d’avant. Je suis peut-être ce qui reste de sens entre le passé et l’avenir, dans ce présent dénudé.
Je ne suis pas un être humain puisque le non être règne.
Je suis un petit point d’ancrage, un petit repère, petit car une grande dimension est impossible dans ce qui manque de consistance. Seule une petite dimension est tolérable. Elle peut passer inaperçue, se confondre avec le vide.
Rien ne pleure rien ne saigne. Qui suis-je ? Sans larme, sans sang … Peut être un rien de sang pâle ou de vapeur d’eau.
Je me cache. J’ai peur d’être absorbée par ce désert. J’ai peur de ne plus avoir cette faculté de poser des questions, j’ai peur de perdre la raison.
La raison ne se voit pas mais moi j’ai peur qu’on me voie.
Et pourtant je rêve encore. Je rêve d’une petite goutte de rosée, déposée sur une brindille oubliée entre les herbes folles. Je rêve de son éclat de cristal à la lueur de l’aurore.
Mais il n’y a pas d’aurore. La lumière n’est pas revenue.
Je rêve d’une petite goutte de rosée, déposée en secret sur une brindille oubliée.
Mais qui la verrait sans lumière… ?
Et pourtant j’existe puisque je vous parle. C’est même drôle de rester ainsi sans lumière, d’avoir une essence intérieure insoupçonnable … bien au chaud, bien secrète. Cette seule certitude me tranquillise au milieu du grand rien, me donne du courage et une véritable identité.
D’autant plus véritable quelle n’est pas revendiquée, qu’elle n’est pas affirmée ni infirmée.
Approchez- vous à petits pas si vous pouvez encore marcher car je ne sais pas si marcher est compatible avec le vide temporel. Marcher, c’est avancer, un pari du présent sur l’avenir. Mais laissez- moi rêver. Alors vous allez vous approcher, tout près de moi, l’espace d’un instant, osons un espace-temps minimaliste.
Je suis là sous une pierre grise, je suis le dernier espoir du désert, du non-lieu, du non temps, de la terre abandonnée.
Je suis le secret.
Coccinelle rouge cerise, trois petits points noirs sur le dos. Chut ! Ne me trahissez pas.
Il me faut en secret insuffler la vie.
Claire Demange. Le 24 février 2016