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Dalie Farah -"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'histoire"

Le luxe des culs nus

Ma sœur m’avait prévenue. Il y a des culs nus. Des culs nus ? Des naturistes, quoi.

Moi, j’en n’ai jamais vus et la curiosité salace de l’inconnu me motive souvent à la nouveauté.

La plage est belle,  une étendue à perte de regard, une vaste caresse du continent qui pose sa limite devant moi. J’en prends note. Et l’on s’éloigne du bout de plage surveillée où les familles et une petite foule vivace se plaît au soleil. On s’éloigne. Le sable n’est pas encore chaud. On y est presque.

Je les vois tout de suite.

Une femme, un homme.

Il l’englobe de sa tendresse, ils sont nus et enlacés, beaux, comme une tendresse de début du monde.

Je suis habituée aux corps mi-nus des femmes, même nus. Le hamman de mon enfance m’en a offert une galerie infinie.

Mais jamais je n’ai vu cette beauté-là, celle des couples nus.

Parce que les naturistes souvent sont en couple.

Hétéro.

Homo.

Je me surprends dans une quiétude allongée. Le quotidien simple de ces corps nus devient une aube d’avant, un temps sans mémoire, leur nudité, au lieu de me gêner, m’apaise car elle dit un temps naturel où le vêtement ne tient pas discours.

J’ai eu envie de le faire, envie-moi aussi de cette liberté-là. Mais on ne chasse pas une vie de tabous et de doutes sur l’innocence et la beauté du corps aussi vite.

Allongée en bikini Etam, je me dis que quoi qu’il arrive, c’est le regard qui fait du corps un objet de discorde.

Un objet de mépris, de honte et avant, toujours, objet de discours.

La nudité pour cette femme qui vient de passer devant moi, parfaite dans un corps dont elle prend soin est un étendard. Je le vois à sa manière de marcher en tenant un bas de maillot qu’elle enfile dès qu’elle passe le drapeau de la plage surveillée. Elle revendique silencieusement à être nue et entièrement épilée.

La nudité pour cet homme est le plaisir de se jeter à l’eau et de glisser comme un immortel dans des sensations que j’essaie d’imaginer.

Je ne sais pas nager quand l’eau bouge ou quand il y en a trop et j’envie sa belle liberté à être bercé par la vague houleuse de l’océan.

La nudité de cette autre femme est simple comme s’allonger et lire un magazine. Celle de cet homme, qui porte un bob, l’occasion de faire des mots croisés.

A l’étonnement de voir un inconnu courir vers la mer sans considérer les mouvements de son sexe, une septuagénaire s’accroupir pour se laisser caresser par les vagues, vient l’émotion à voir cet autre malaxer les fesses de son compagnon à la crème solaire ou celle-là badigeonner le sien d’huile bronzante.

En fait, et c’est peut-être le rugissement des vagues qui me le dit : ce que j’aime c’est la liberté libre, la possible possibilité de ne plus être des sujets sociaux, culturels ou politiques mais des corps apaisés qui jouissent à être et qui n’ont rien à dire.

Ce n’est pas forcément une question de vêtements, d’éducation ou de morale mais une question existentielle.

Exister pleinement en abandonnant toutes les injonctions celles qui veulent vous dévêtir, comme celles qui veulent vous rhabiller.

Parce que je les ai vus ces femmes se jetant tout habillées dans la mer avec un identique et magnifique enthousiasme à être.

Il faudrait pouvoir appuyer sur « reset ». Tout annuler. Reprendre depuis le début. Supprimer la honte du jardin d’Eden, supprimer la honte et pour bien faire le péché aussi.

Recommencer dans une innocence sans idéal, une innocence matérielle corporelle.

C’est possible, je le sens, allongée là, avec le sable granuleux et la moiteur du vent.

Pourtant, j’ai conscience du luxe des culs nus. Et du mien : le luxe de pouvoir rêver de cet Eden sans péché, le luxe d’une seule urgence : celle d’exister.

Dalie Farah

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