Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson par Agnès Berger
Une expérience de l’extrême, un apprentissage de la vie sauvage, une survie « en milieu naturel »…. hors des sentiers touristiques!
Avant de s’aventurer sur ces chemins en compagnie de ce marcheur dont les confessions s’apparentent à la fois à celles, de Rousseau, de Thomas de Quincey ou de Pierre Michon., découvrons un itinéraire qui parcourt d’Est en Ouest une France des sentiers sauvages, des friches naturelles, des chemins sinueux, étiquetée « hyper-rurale » .Cette carte signale des zones crayonnées en noir, sombres, mystérieuses, reculées, isolées, enclavées, manquant d’équipement de services de ressources, dont la faible densité de population justifie l’appellation de Hyper-ruralité par les auteurs du rapport du même nom.
Et c’est à partir de cette topographie que Sylvain Tesson trace son itinéraire de marche après un accident et livre ses impressions de voyage dans des paysages, tout aussi dépaysants que ceux rencontrés lors de ces treks jusqu’aux cimes himalayiennes, ou dans les steppes sibériennes.
Un récit poétique qui invite à porter un regard sur la ruralité, franc comme la lumière de Provence, à sentir la force du vent comme celui qui balaye les plateaux de l’Aubrac, à toucher les brumes de la demie montagne du Plateau de Mille Vaches, à entendre le chant des rivières qui courent dans les méandres des vallées.
Un récit documentaire qui renseigne aussi sur les « mutations » du monde rural, sur son dépeuplement au profit des « zones urbaines » où se massent des populations centralisées, guidées par les réseaux des « axes autoroutiers », des « zones péri-urbaines » où s’endorment des villes entières de voisins qui s’ignorent hypocritement. Un récit en creux du rapport de Mr Bertrand, sénateur de la Lozère, défendant la ruralité comme lieu de ressources…?
Toute « cette agitation » vue des sentiers noirs exige une prise de distance à laquelle nous ne sommes pas préparés, pas éduqués surtout. Il semble que nous ayons perdu pied avec cette nature que nous n’avons pas appris à considérer, dont nous ne savons pas voir la beauté simple et que nous foulons de notre ignorance. A tenter de comprendre que les frontières de nos vies sont tracées par « ceux qui rédigent des rapports » qui seront ensuite utilisés, réécrits en cascade dans les administrations, pour manager nos déplacements, on serait presque prêts à s’emporter dans un jugement hâtif et maladroit en lisant ces lignes, on pourrait refuser de réfléchir sur notre propre rapport à la ruralité, à la terre, à la pierre parce qu’on en est éloignés.
Marcher c’est se rencontrer soi même chaque jour, semble suggérer ce court récit.