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Dalie Farah -"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'histoire"

Pourquoi il faut lire François Bégaudeau.

François Bégaudeau me faisait faire la moue. Un peu agacée par son image télévisuelle et du foin d’Entre les murs que je n’avais ni lu ni regardé ; du haut de mon ignorance, j’avais décrété que non, Bégaudeau, son arrogance, ses certitudes, toussa toussa, ce n’était pas pour moi, car il ne me méritait pas.

Voilà.

C’était plié, décidé, consensuel. Tu as lu le dernier Bégaudeau ? Le what ?

Parce qu’on est très peuple, on se dit que Bégaudeau ne l’est pas.

Parce qu’autour de moi, personne n’aime François Bégaudeau.

Ceux qui ont vu le film aime le film. Point.

Ah, il y a bien la femme de mon médecin traitant, paraît qu’elle aime bien, elle. Mais bon, cela ne compte pas, elle, elle a lu ses livres.

Donc, quand je le rencontre lors de l’Atelier d’écriture du Festival Littérature au Centre, je suis curieuse et vicieuse comme les charognards dans les BD de Lucky Lucke. Je suis curieuse de voir par quelle infamie subite, cet esthète parisien et canalplusien se retrouve à Clermont-Ferrand pour faire un atelier d’écriture. Par quelle tournure cruelle du destin passe-t-on des projecteurs de Cannes (oui, bon c’était en 2008, mais on a la mémoire qu’on veut), donc, comment passe-t-on d’un plateau de télé parisien à la médiathèque de Jaude à Clermont ?

Et puis, je peux bien l’avouer, je voulais qu’il me dise ce qu’il pense le Môssieur de ma prose à moi. Dont je suis drôlement fière, évidemment.

Pourtant, dans cet après midi d’été en plein printemps, alors que le Puy de dôme sue à grosses gouttes,  assise dans une petite pièce avec d’autres représentants de la province, je suis prise en flagrant délit de préjugé. En flagrant délit de faciès, de clichés à gogo, bref de bêtise bien épaisse.

J’ai oublié mes lunettes de vue et j’arbore une paire de lunettes de soleil de diva alors qu’il nous passe des extraits de film pour qu’on les commente.

D’abord, François Bégaudeau est sympathique. Ça, c’est ma première déception. En plus, il est brillant et très…aimable. Seconde déception.  Enfin, il est tendre, drôle et écoute chacun d’entre nous avec respect, chaleur et ce n’est même pas une posture. Merde. Un type bien. En dehors de toute tautologie, je me dis qu’il est humain finalement cet homme. J’ai honte.

Je prends conscience de la manipulation télévisuelle dans laquelle je me suis vautrée. Bon, je me rate sur mon texte, incapable d’écrire une critique filmique, d’autres écrivent des textes brillants, évoquent des analyses surprenantes. On est bien, il est d’une patience et d’une douceur authentiques. On frise la dévotion et là, je me recroqueville dans mon sourire, la France a un incroyable talent n’est pas prête de me trouver.

J’ai un peu honte,  honte d’avoir ainsi condamné un homme et son œuvre par….mais pourquoi en fait ?

Par pure jalousie ? Par bêtise. Fainéantise. Facilité. Sans doute.

François Bégaudeau nous ressemble trop tout en étant ce que l’on croit détester : ce prof non contrit, cet écrivain déterminé à la beauté photogénique, ce type qui parle en tortillant ses mains comme des certitudes bien ficelées, cela fait beaucoup trop pour un seul homme. En plus, la palme d’or avant même d’avoir gagné l’amour du public ! Non,  c’est trop, on ne va pas en plus lui trouver du talent et lire ses livres ! Hein ! Non mais.

Du coup, je me décide, je vais le lire le type. Je consulte mon confessionnal intérieur qui m’ordonne : « tu liras tout, mais vraiment tout ce que tu trouves »

Je lis, par piété littéraire mais aussi parce que j’ai décidé de lui donner une seconde chance, moi, depuis mon Puy-de-dôme essentiel, j’ai décidé que je le lui devais.

 De lecture en lecture, ma honte s’est approfondie.

J’ai passé des années à côté d’un auteur riche, d’une écriture vive, intense, de romans foisonnants, d’une sensibilité juste avec la certitude que cet écrivain ne valait pas le coup, que je valais mieux que lui, que ses livres devaient être plein de champagne, de petits fours et sauteries en tout genre.

Et bien non. Je me suis trompée. En attendant d’en lire davantage, je partage avec vous ceci. ( toujours pour obéir à mon confessionnal intérieur : « lisez ceci, » m’a-t-il dit « ce sont mes livres. »)

Il faut lire Bégaudeau

  • parce qu’il porte un regard sur un siècle avec acuité
  • parce qu’un auteur qui s’intéresse au réel, n’est pas le réel qu’il raconte.
  • parce qu’il sait raconter avec énergie et humour
  • parce qu’on ne juge pas son prochain au faciès
  • parce que ses romans troublent et interrogent
  • parce qu’il porte les voix des hommes et des femmes de l’ordinaire avec une tendresse juste
  • parce que les consensus, c’est suspect.
  • parce qu’il cherche à dire des nuances
  • parce ce que même si sa gestuelle est agaçante, c’est pas de sa faute quand même.
  • parce qu’il joue avec son lecteur
  • parce que vous ne le regretterez pas, ou pas totalement.

Dalie Farah

P.S. J’ai fini par choisir d’écrire ces petites notices subjectives pour que vous puissiez lire vous-même à peu près à l’abri de mes analyses.

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au débutCe recueil de nouvelles est un bijou, tant dans son idée que dans ses réalisations : des voix de mères, de pères désirant, refusant, attendant, craignant, espérant la naissance d’un enfant. Dans les souffrances réelles de l’infertilité et la farouche volonté de ne pas enfanter, toutes les nuances de ce mystère du désir de reproduction racontée avec une véritable puissance. L’écriture se love dans chaque personnage pour coller à sa pensée. Le corps est dit avec les mots du corps, les contradictions des sentiments conjoints, disjoints se juxtaposent car l’esprit d’une femme enceinte, est un esprit qui convoque le passé, le présent et le futur.

La lecture est vraiment intense, aisée. La syntaxe virevolte en rupture et en enchaînement fascinant. On entend penser ces gens. Au début, c’est le moment où l’on prend conscience de soi et de sa mortalité, de nos liens avec père et mère, de la mort, qui de toute manière sera là au bout. Au bout du compte.

entrelesmursC’est le roman qui l’a fait connaître. A travers des dialogues incroyables, une peinture ciselée avec la juste distance au monde et aux gens, c’est la vision d’un réel qui donne pas de leçon. Il faut lire ce roman, en dehors des préjugés et des représentations. C’est un récit extraordinaire dans sa concision et la densité des expériences qui font l’ordinaire et l’extraordinaire d’enseigner. Sans jugement, la tragique condition d’élève et la dérisoire mission enseignante se côtoient dans une relation rude et tendre, au plus proche de ce que pourrait être l’exigence faire parler des enfants face une structure tragique, celle de l’éducation nationale.

Entre les murs, est un instantané, il ne tient pas de discours moralisateur, il dit. Et c’est la force de ce récit où la subjectivité du narrateur n’est que corporelle, comme s’il occupait ce poste tel un acteur porte un costume avec l’application que le metteur en scène a tenté de lui imposer.

C_La-blessure-la-vraie_8697Ce magnifique roman raconte l’adolescence, la folie d’attendre à aimer, la naissance des corps. Un été, un narrateur adolescent veut en finir avec son pucelage. De cette attente de passage, François Bégaudeau nous fait le portrait de cette époque, des voix du corps et du cœur, avec une ironie toujours inentendue. Dans une Vendée réelle et fantasmée, l’on croise des personnages qui sont comme des oracles, d’autres comme des ombres, et d’autres encore comme des monstres cinématographiques. Le roman semble s’écrire comme un roman initiatique que le Grand Meaulnes aurait espéré et se termine dans l’éclat de rire d’un Faulkner qui aurait de nouveau le moral.Dans la construction romanesque les voix et les hommes nous font pénétrer dans ces années quatre-vingt où le bonheur était une promesse nécessaire et le lendemain, un désir renouvelé. François Bégaudeau est un écrivain farceur, il joue toujours avec son lecteur car il le désire, ce qui est flatteur, c’est qu’il parie toujours sur l’intelligence du lecteur, celle qui va voir les degrés d’écriture. Il y a ce second degré permanent qui ne nous empêche pas de profiter du premier, c’est tout le contraire du snobisme et cela fait du bien.

J’ai aimé croiser la pensée de cet adolescent et traverser à vélo ou à mobylette le passé de ces vendéens pétris de leurs amours déçues, de leurs deuils lointains mais aussi d’une joie à être qui résiste toujours.

003614433Sans doute mon préféré. Cet auto-roman, raconte Chouchou. Qui ça ? François. L’auteur/narrateur dans le pacte autobiographique se raconte en scrutant au microscope une passion particulière : la passion du politique. Explorant ses opinions, ses savoirs, ses prises de paroles, son amour des mots, il explore aussi une époque, une période.

L’auto-roman déconstruit les mensonges que l’on se raconte pour se comprendre. Avec patience et un humour permanent, persistant, l’on découvre les faux-semblants d’une posture humaniste qui ne veut défendre la veuve et l’orphelin que pour défendre la légitimité d’être du côté des bons, du côté du juste.

Sans concession, ce passionné de punk-rock se gausse de ses propres textes et de ses propres mots. Mais il est question aussi de nous, nous qui sommes nés dans les années 70, nous voyons défiler cette époque, ces étapes comme celles de nos vies, ces arrière-plans sont les nôtres et c’est merveilleux de réfléchir de nouveau à ce que nous avons été nous aussi, en même temps que lui.

Il faut le lire maintenant, prendre le temps, car le cheminement de Chouchou offre une lecture du politique et de la politique tout-à-fait juste du temps présent. Ce flash-back, c’est celui de notre siècle. Il est utile et nécessaire ce livre.

Le roman nécessite des pauses. Truffé d’aphorismes, de réflexions sur la puissance du verbe et ses impasses, il se retrouve au carrefour de l’essai à la manière de Montaigne et des Confessions à la manière d’un Rousseau qui aurait le sens de l’humour.

product_9782070197224_195x320C’est son dernier roman. Molécules comme son titre ne l’indique pas est un roman polygenre. Il est écrit comme un polar et il se lit à la même vitesse. François Bégaudeau maîtrise le page turner, et l’on est emporté par la lecture de ce fait-divers qui est le point de départ du récit.

Comme à chaque fois, l’écriture se joue des codes en les reproduisant au premier degré et en les détournant dans un second temps. Vous êtes pris par le suspens. Ah ben tant pis, la page d’après vous connaissez le coupable. Vous pensez que la tension tombe, ah ben non, une nouvelle attente naît à la page suivante.

Le vraisemblable est incroyable, la réalité pas crédible : le fait-divers dans sa brutalité narrative et réaliste est sous la plume de cet auteur un objet de curiosité jouissive.

Un vertige surprenant qui donne sur la fin, comme dans tous les livres de Bégaudeau, un élan nouveau.

Accessible, fluide, drôle et surprenant, Molécules est un roman qui interroge la question même du récit et du lecteur.

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Petit manuel plein de malice dont on peut user en classe ou pour s’amuser de la vocation d’écriture tout en lui gardant son caractère vénérable et parfois vain. Malin, brillant, écrit avec connivence et auto-dérision, car le sois-disant prétentieux se révèle plus moqueur envers lui qu’envers les autres.

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