NextLibération – DE MÈRE EN FILLE, VICES REPETITA- Aude Raffray « Je me prépare une petite soirée paisible, sans surprise, je n’aime pas les surprises. Le choc a été rude. La surprise totale. »
CRITIQUE
DE MÈRE EN FILLE, VICES REPETITA
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Déplacement professionnel, une chambre à l’hôtel de la Marine, propice à la lecture. Je me choisis un livre. Impasse Verlaine, le titre m’interpelle. En plus, chez Grasset. J’aime cette édition, ce jaune reconnaissable. Je me prépare une petite soirée paisible, sans surprise, je n’aime pas les surprises.
Le choc a été rude. La surprise totale. Je suis projetée dans l’Algérie des années 50, dans un village berbère, où la vie est très dure, surtout pour les filles. Je sais déjà que ce livre ne me laissera pas indifférente. Dès le premier chapitre, le ton est donné. «On peut survivre à tout, quand on survit à sa mère.»
Dalie Farah raconte son enfance. Le personnage principal du livre, c’est sa mère, prénommée Vendredi, arrivée au début des années 70 à Clermont-Ferrand, après un mariage forcé avec un homme qui a vingt ans de plus qu’elle, venu au pays chercher une épouse. Elle a 15 ans, elle ne sait pas lire, mais sait compter, additionner et soustraire mieux que personne. Son père, un berger, le lui a appris. Ce père qu’elle adorait, assassiné sous ses yeux, torturé par des soldats français. Ce père si doux qui savait la protéger des fureurs de sa mère capable de la fouetter jusqu’au sang.
Vendredi a été une enfant maltraitée, et à son tour maltraitera sa fille. «Dès ma troisième année d’existence, passé la période de rodage, j’ai pris le pli des larmes intérieures : souvent battue, je ne me plains pas.» Dalie Farah ne fait pas le procès de sa mère, elle l’aime, comme on aime son bourreau. Et le tout raconté avec beaucoup d’humour, un sens aigu de la mise en scène.
Malgré tout, on s’attache à Vendredi, cette femme très fière qui ne perd jamais la face, prend la maisonnée en mains quand son mari tombe d’un échafaudage, s’émancipe en travaillant, décroche le permis sans savoir lire. Et parfois, Vendredi défend les intérêts de sa fille, à sa façon. Dalie Farah, en maternelle, reçoit une gifle de sa maîtresse pour avoir griffé un petit tricheur. La scène est racontée de façon hilarante. Vendredi folle de rage se rend à l’école pour réclamer justice et gifle à son tour l’institutrice. Et l’auteur de conclure : «Vendredi a des valeurs, des principes. On ne frappe pas les enfants des autres.»
Pour surmonter les sévices subis au quotidien, Dalie Farah se réfugie dans la lecture. Et il y a un endroit où elle oublie qu’elle est la fille de Vendredi, c’est l’école. Elle s’y sent en sécurité. L’école républicaine a sauvé Dalie Farah. Elle participe un jour à un concours d’écriture, elle gagne le premier prix, on aimerait qu’elle en parle à sa mère, qu’elle s’en fasse aimer.
Elle a son bac et sa mère en est fière. Elle s’enfuit de chez elle pour aller à l’université. Une suite s’impose. On aimerait savoir comment elle s’en est sortie, ce qu’est devenue Vendredi.
Dalie Farah Impasse Verlaine Grasset, 217 pp., 18 €.