Lire ou relire La Tache de Philip Roth, une chance de vérité complexe
Lire ou relire La Tache de Philip Roth, une chance de vérité complexe
Dans un moment où la question de la couleur fait résonner la question sociale, je voudrais parler d’un livre qui m’a totalement retournée. Philip Roth est un maître, un grand maître de la littérature, j’ai eu à étudier Le Complot contre l’Amérique où le romancier projette l’Amérique de Roosevelt dans les bras uchronique d’un Lindbergh, un président qui déploie une politique antisémite sous couvert de pacifisme et de sécurité.
Le monde a à apprendre de la littérature, parce qu’aucune question sociale et politique ne se résout dans une tribune de trois minutes ou une vidéo de cinq. La Tache raconte l’histoire d’un homme, un professeur de Lettre classiques, il est accusé d’avoir tenu des propos racistes et doit subir la honte et la chute sociale qui lui est associée.
Le roman s’ouvre sur l’affaire Lewinski, quelle place la morale peut-elle avoir ? Doit-on se concentrer sur l’intime pour juger un homme ? Est-ce qu’un faux pas, un délit peut définir un homme ? Peut-on réellement comprendre la nature humaine par le biais de la morale ?
L’histoire de Nathan Zuckerman, son passé révèle une identité complexe où la question raciale occupe une place inattendue et où la morale se retrouve incapable de peser, de jauger la vie de cet homme.
Quel est le prix de la liberté et comment l’obtient-on ? Par quel(s) privilège(s) peut-on être véritablement libre de ce que l’on veut accomplir ?
« Depuis sa plus tendre enfance, tout ce qu’il avait voulu, c’était être libre : pas noir, pas même blanc, mais indépendant, libre. Il ne voulait insulter personne par ce choix….. »
Qui est réellement Nathan Zuckerman ? Un homme qui a dû créer son soleil, créer sa vie, épouser les déterminations d’une époque qui donne une carrière aux Blancs mais pas aux Noirs.
« Seulement le danger avec la haine, c’est que quand on commence il en monte cent fois plus qu’on en aurait voulu. Je ne connais rien de plus difficile à brider que la haine. »
Qui plus est, Nathan désormais à la retraite est amoureux, Nathan désire, Faunia aussi l’aime et le désire ; c’est une femme de ménage, plus jeune que lui.
Faunia, ne sait pas lire, mais Faunia a une vérité, sa capacité à vivre, à survivre, elle qui a dû subir plusieurs drames dans sa vie.
« Je sais pas lire les mots, mais je sais qui était Shakespeare. Je sais qui était Einstein. Je sais qui a gagné la guerre de Sécession. Je suis pas débile, seulement illettrée »
Transgression de classes, raciale ; transgression des représentations, La Tache est un roman qui permet de parcourir une vie singulière, d’accéder à la complexité de l’être et du vivant parce qu’aucune vie ne se résume à un trait.
L’être est multiple, paradoxal, son rapport au monde fait de troubles divers, il croit décider quand il obéit et pense se sauver quand il se détruit.
Un roman passionnant où les frontières de l’être disent ce que l’Amérique peut comprendre de son histoire, du racisme, de son socle et de ses résonnances. Et l’on comprend que le ressentiment, la vengeance n’aura pas la possibilité de renouveau.
« Sans ce livre, il paraissait désormais exempt de tout désir de régler ses comptes, libéré de l’urgence de laver son nom, ou d’inculper ses adversaires de meurtre; le sentiment d’injustice qui le momifiait naguère l’avait abandonné. Un tel changement d’attitude chez un homme que l’événement a martyrisé, je ne l’avais jamais vu qu’à la télévision, quand NELSON MANDELA était sorti de sa prison en pardonnant à ses geôliers alors qu’il avait encore dans l’estomac son dernier rata de taulard. »