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Dalie Farah -"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'histoire"

La cause littéraire – « Simple et puissant, nourri d’humour et de réflexions, le roman est une belle robinsonnade féminine, un pont entre l’Algérie et la France, et un dialogue intergénérationnel qui se dit par les corps, non par les mots. » Tawfik Belfadel 20.08.2019

Une robinsonnade féminine

Vendredi est une fille née dans un village en Algérie. Son nom est le jour dans lequel elle est née : vendredi. « Si l’on ignore la date de naissance précise de ma mère, on se souvient du jour : elle s’appelle Vendredi, Djemaa en arabe, c’est le prénom de la rencontre avec Allah le Tout-Puissant » (p.13).

Vendredi passe son enfance et son adolescence à garder les chèvres, à faire les dures tâches ménagères, et à recevoir les insultes et les coups violents de sa mère. Adolescente, elle est mariée à un émigré qui dépasse largement son âge. Elle va vivre en France, à impasse Verlaine, quelque part à Clermont-Ferrand où elle devient femme de ménage. « C’est dans cette impasse que nous finirons de devenir ce que nous avions commencé à être : elle, la mère de sa fille et moi, la fille de ma mère » (p.63).

Vendredi donne vie à une fille. Celle-ci devient vite une excellente élève, une gourmande lectrice, et réussit un concours d’éloquence. Cependant, l’existence se répète : la fillette reçoit les insultes et les coups violents de sa mère, et l’aide aussi dans ses travaux de ménage… Son corps est la vérité. « Pendant un temps, je cesse de lire, puisque la vérité se trouve sur mon corps ; j’observe mes bleus, mes cicatrices, la forme de mes pieds, de mes mains, de mon sexe » (p.73).

Un jour, la fille de Vendredi a son bac. C’est un moyen d’aller ailleurs. Parvient-elle à quitter sa mère pour affirmer son existence, ou restera-t-elle à ses cotés pour continuer d’exister à travers sa maman ?

L’auteure exploite la relation entre les générations, entre la maman et sa fille, à travers un angle philosophique. Elle explore les dichotomies suivantes : existence-être, inné-acquis, sauvage-civilisé.

Le nom Vendredi rappelle les aventures de Robinson Crusoé : Robinson rencontre un « sauvage » sur son île, il lui donne le nom de Vendredi, jour de leur rencontre, et fait de lui son nègre. Chaque jour, Robinson essaie de civiliser son Vendredi.

Dans ce roman, le nom est choisi pour montrer l’insignifiance du personnage féminin. L’effacement. Le rien. Seul le décor change : on peut remplacer l’île par ce village berbère en Algérie et Robinson  par la mère. Dans ce roman, il s’agit donc de robinsonnade, mais pas dans le sens d’aventures, mais dans le sens de questionnements sur l’humanité et de la recherche de soi.

Le personnage féminin Vendredi existe mais n’EST pas. Comme l’explique l’existentialisme, l’existence précède l’essence. En décidant dans le monde, l’Homme affirme son être. Ce qui n’est pas le cas du personnage de ce roman : cette femme exécute les ordres de sa mère, obéit à la nature. Elle existe de par les évènements extérieurs de son environnement. Elle est ce que sa mère est. Ainsi, l’inné – l’existence –, le sauvage, précisent leur suprématie sur l’acquis – l’être – le civilisé. « Ce qui compte c’est ce que nous ne sommes pas » (p.146).

Plus tard, l’existence se répète en France. Vendredi l’effacée, la « sauvage », habite le corps de sa fille et fait d’elle un autre Vendredi. Elle lui inocule le gène de la soumission, l’éducation d’une Algérie qu’elle ne connaît pas, et le souvenir d’un passé fantôme. La fille de Vendredi, née en France, dit : « J’ai les cheveux de ma mère, les genoux de ma mère, les cuisses de ma mère, les fesses de ma mère. Tout ce que je refuse et m’est étranger est moi. La nature m’a désirée telle et cela devient mon scandale quotidien » (p.143).

Bref, le roman se situe dans cet entre-deux sensible et pose cette question : chez l’humain, qui l’emporte sur l’autre, le naturel ou l’acquis ? En outre, d’autres thèmes se glissent dans la fiction pour compléter le thème central : l’exil, la terre natale, l’identité, le corps…

L’écriture est limpide, mêlant sensibilité et force. La narration est assurée à la fois par un narrateur omniscient et la fille de Vendredi. Ce procédé narratologique permet de créer des mystères dans la fiction et incite le lecteur à poser des questions.

La romancière a inséré discrètement des fragments autobiographiques : comme la fille de Vendredi, Dalie Farah est née en Auvergne (lieu de la fiction) en 1973 (date de naissance du personnage), de parents algériens (troisième élément autobiographique). Bien que le roman ne soit pas une autobiographie ou une autofiction, la romancière essaie de se retrouver à travers son personnage, ou du moins de retrouver une partie d’elle.

Enfin, Impasse Verlaine est un questionnement humain qui se situe entre l’inné et l’acquis, la nature sauvage et la civilisation. Simple et puissant, nourri d’humour et de réflexions, le roman est une belle robinsonnade féminine, un pont entre l’Algérie et la France, et un dialogue intergénérationnel qui se dit par les corps, non par les mots.

Tawfiq Belfadel

http://www.lacauselitteraire.fr/impasse-verlaine-dalie-farah-par-tawfiq-belfadel?fbclid=IwAR2Nn-xpfHUbmmWc2rTKQRYvZJduYMV0_XMuSwxf0SxvrqvFMVKt1hDlsFA

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