J’accuse, tu accuses, il accuse Mohamed. Mais pas Kacimi.
Messieurs, mesdames les journalistes, mesdames et messieurs les accusateurs,
je ne suis personne et n’ai donc aucune renommée et ne peut me prévaloir d’apporter une caution quelconque à M. Kacimi Mohamed, par contre, je prétends être capable de vous apporter quelques éléments pour apprécier la situation absurde et tout-à-fait étonnante dans laquelle certains ont projeté un auteur, un homme, une œuvre dans l’opprobre au nom de la loi républicaine, je prétends en être capable parce que je suis professeure.
- D’abord, nous apprenons aux enfants au primaire à faire la distinction entre personne et personnage. C’est une distinction utile notamment pour que les élèves ne confondent pas l’ogre du petit Poucet avec leur grand-père ou qu’ils invitent le petit prince à leur goûter d’anniversaire et s’effondrent en ne le voyant pas arriver.
- Ensuite, il est une distinction utile, plus difficile peut-être, disons qu’elle s’installe au collège à savoir la distinction entre un auteur et un personnage. Si l’on confondait l’un et l’autre, il serait alors bien légitime de brûler sur la place publique la pauvre JK Rowling pour sorcellerie, cette femme a tout de même diffusé un univers mystique des plus discutables où les araignées parlent à des géants.
- Plus nuancé, encore et je vous demande votre attention, on ne doit pas confondre un narrateur et son auteur. Là, c’est vrai que c’est difficile, quelqu’un qui dit « je » et qui n’est pas le « je », c’est assez vicieux. Des hommes racontent des histoires de femmes en disant « je » ou l’inverse, on ne peut pas considérer que tous les « je » de Faulkner sont lui…le pauvre. Parfois, c’est traître, dans L’Autobiographie d’un ours en peluche, Tomi Ungerer n’est pas un ours en peluche.
- Passons maintenant au théâtre. Lorsque vous voyez une pièce de théâtre, ce n’est pas la réalité. Ce qui ne veut pas dire que le théâtre ne parle pas de la réalité, mais ce n’est pas la réalité. Quand l’Avare cherche sa cassette, c’est pour de faux. Il n’y a pas d’argent véritable sur scène. Mais c’est vrai que ça parle d’argent. Au cinéma, c’est pareil. Dans la publicité aussi. C’est ce que l’on appelle la représentation. Parfois l’imitation est presque parfaite, mais essayez de dévorer un burger sur papier glacé, vous ne serez pas rassasié.
- Abordons plus avant le contenu d’une pièce de théâtre ou même d’une œuvre en général. Une œuvre d’art parle du mal qui se passe dans le monde. Ceci étant, il existe d’excellentes collections qui passent outre le sujet comme la bibliothèque rose ou les Harlequins (je vous recommande chaudement la collection rouge où les scènes d’amour sont assez suggestives). Mais il est rare que l’art ne s’intéresse pas au mal. Il existe des œuvres qui parlent du viol, de la pédophilie, de la cruauté. Le mal et sa compréhension fournit le plus grand nombre d’œuvres dans toute la littérature mondiale. Ce qui fait que l’on peut méjuger un livre pour son style, son intérêt, son prix, sa quatrième de couverture, mais on ne peut pas traduire en justice une fiction. (J’aurais bien porté plainte, j’avoue, contre Isabelle Huppert et Chabrol qui ont fait une Bovary qui n’était pas brune, mais je me suis abstenue.)
- Enfin, et je serai brève sur ce point, au théâtre, comme au cinéma, on ne peut confondre un personnage avec le comédien ou l’acteur. Je vais vous décevoir mais Ben Affleck qui joue Batman, n’a pas de supers pouvoirs. Désolée, je sais c’est dur à encaisser. Et pire, John Wayne est nul en tir. C’est terrible.
- J’ajoute tout de même un élément : l’origine, la confession, le sexe, le prénom d’un auteur n’est pas une excuse pour reproduire les erreurs sus-nommées. C’est vrai que Mohamed Kacimi, s’appelle comme Mohamed Merah. Je peux comprendre vos difficultés à ne pas confondre un Mohamed avec un autre. Pour vous aider, faites l’exercice suivant : listez tous les François que vous connaissez, et vous verrez qu’ils ne se ressemblent pas. Je vous aide encore : François Feldman n’est pas François Mitterrand qui n’a pas été François Hollande et encore moins François Malraux ou François Barouin, qui, lui-même n’a pas commis le même type d’œuvre que le pape François ou encore François Fillon qui n’a pas eu l’occasion d’être François Bégaudeau. C’est surprenant et tellement amusant de se rendre compte qu’un prénom n’est ni une identité, ni un casier judiciaire, ni une présomption de culpabilité.
- Maintenant que toutes ces distinctions sont faites, venons-en à la pièce « Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie » Il est question de Mohamed Mérah.
- Qu’a fait l’auteur (qui n’est pas le personnage et qui n’est pas le narrateur) en écrivant cette pièce ? Il a réécrit à partir du réel une fiction théâtrale.
- Qu’a fait le comédien ? ( qui n’est pas le personnage) Il a interprété un rôle.
- Qu’a voulu faire l’auteur en écrivant cette pièce ? Il a voulu que l’on s’interroge sur les causes, les ressorts qui amènent un jeune homme à se faire terroriste.
- Peut-être la pièce sera-t-elle mauvaise à vos yeux ? Peut-être trouverez-vous le comédien mauvais ? Peut-être la mise en scène sera-t-elle pauvre ? Et vous pouvez le penser, le dire, l’écrire à vos voisins, vos amis…mais…
- Accuser un auteur d’apologie du terrorisme ne peut que montrer vos lacunes abyssales en termes analytiques, en bonne foi et en honnêteté. Je ne ferai pas comme d’autres la biographie de l’auteur qui fait honte à cette accusation, étant entendu que c’est inutile.
- Je note cependant chez les accusateurs un certain don pour l’opportunisme, la mauvaise foi, la fainéantise, la polémique, l’injustice et la bêtise, je suis là pour vous aider à vous en sortir. J’ai réussi avec d’autres, faites-moi confiance.
Dalie Chrifi Alaoui, agrégée de Lettres Modernes
Mohamed Kacimi, auteur