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Dalie Farah -"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'histoire"

« Dimanche bourdon » de Marisol

C’est dimanche-été, il fait bon sous la véranda, la famille est attablée dans les senteurs immobiles de citronnier. Un dimanche qui se voudrait comme d’ordinaire, étiré tiède au long cours du repas gourmand, réunir une tablée grande comme ça. Boutique close, parenthèse silence ordonné.

On ne regarde pas dans l’assiette de son voisin !

Par cœur je repasse les conventions du dimanche ensilencé. Dos droit, cheveux attachés comme il sied, me voici désormais admise à la table des grands ; c’est officiel, je me tiens bien, à présent.

Pendant ce temps, depuis la cour voisine, le fond de l’air est plus que brouillé par le foin ambiant. Et si chez nous, il est convenu déjeuner effacé bon ton, il détonne des cours alentour le contraste Biton, aux débordements de bocson quasi permanent. Aujourd’hui tout spécialement, leur petit dernier en a encore mouliné une à sa façon, et voila qu’il fait tourner son père en bourrique dans leur petit jardin bousculé. Je m’applique mentalement boucher mes oreilles à leurs brusqueries de chaises chavirées, bruyantes cabrioles esquiver la raclée, ces envolées de voix pimenter la pagaille généralisée… tour à tour les entendre rire le cirque dimanche, à tout instant les vibrer tourner la noria des couleurs, virer soudain pleurs amers sans y comprendre rien, vraiment.

Partition théâtrée Biton.

A part la discrétion bon ton, chez nous, on n’épice pas les plats. C’est connu, chez le mallem, on mange français ! Quartier Biton, on encense les courettes aux petits gâteaux miel-amandine lambinés plaisirs cannelle fine, et on vacarme les beaux jours aux éclats d’humeurs changeantes ; les petits frondeurs aiguisent la fureur des parents, et il fuse leurs moqueries, souvent. Il s’en sourit, des gaités bavardées, sous le grand figuier d’à côté, cependant que de notre côté du mur à nous, la bienséance nous tient droits, avant la touffeur de la sieste obligée.

Silence, les braillards, silence, bon d’la !

Eternisé depuis la cour mitoyenne, le carnaval Biton finit par me faire sourire en coin… même que, bientôt, je ne peux me retenir de me mordre les joues, tout en m’appliquant picorer à la bien comme il faut, raffinement fourchette-couteau… l’air de rien, je m’esquive piquer du nez dans l’assiette, histoire d’éteindre la vague impertinente risquer onduler mon dos dressé. Dans le silence respiré dimanche gras, c’est à peine si on entend la belle cuillère à servir râper le fond du grand plat à farcir, tandis que nos fourchettes éduquées Carmen s’appliquent chiches ne pas crisser dérapées sur l’élégante porcelaine de Limoges. Discret lui aussi, le petit carré de peau moite qui peine se décoller de la toile cirée ; un rien machinale, la main qui s’agace écarter un gros coléoptère du melon offert. Juste frôler le noiraud qui bourdonne d’un peu près le dessert du mallem au profil d’œuf.

Soudain, un cri !

Horrible dégueulée toute de terreur hurlée, lors que le pépé lance un poing mauvais, torpillant net son assiette affamée, qu’il valse précipitée. Entournoyés à l’éclatée des miettes de vaisselle amplifiées à l’immense hurlement qui enfle, mais qui enfle à nous traverser de part en part, nous nous amarrons mécanique à la table tempêtée… respiration coupée par cette éventrée d’entrailles dégobillées, et qui dévaste tout notre bel agencement à l’énorme vomissure de cette gorge hurlant la mort ; d’un même jet noir, avaler et refluer tout en même temps le grand fracas d’avant la terre, son enfantement.

Le poing du pépé a balayé la belle assiette, cassé le blanc. Et monsieur Biton  s’enhardit passer une tête hébétée dans le figuier encore tremblant, quand, armée de coton et de désinfectant, la mémé s’active courir, savates patinées essoufflées.

Luisette !

Il a suffit d’un bourdon.

Pour troubler la belle ordonnance dimanche, dans les senteurs de figues et  bois de citron. Juste une main crispée repousser la grosse guêpe à son dessert de melon.

Un dimanche plus loin, il ne sera plus notre jardin.

Marrakech-Montembas

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