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Dalie Farah -"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'histoire"

« Après ce dialogue avec la nuit, on repart plus éclairés » par Marie Agullo

La Jeanne  d’Orléans, je l’avais apprise à l’école, lue dans les livres, vue au cinéma et même en statues … La Kahina je ne la connaissais un peu, que parce que j’avais déjà eu le privilège de lire Dalie, l’écrivain, la sauvage narratrice du « Vent des Aurès ». Mais avant cette chance que j’ai eue, de rencontrer Dalie, personne ne m’avait parlé d’elle. Normal, je ne suis pas Berbère et personne dans mon école de la république française ne m’avait enseigné l’histoire des Berbères. Pire, alors que j’ai enseigné pendant plus de quarante ans à des élèves qui pouvaient être Berbères, jamais je n’avais eu l’idée de chercher leur Histoire pour leur en parler, pour seulement en tenir compte, pour m’interroger sur les fondements de leur propre culture, alors que j’avais la passion de leur transmettre la mienne et de la leur faire aimer! Je n’avais pas eu l’idée non plus de leur demander de me la raconter…Voilà qui est dit. Dommage que je sois mise en retraite, comme les Arabes à Poitiers. J’aurais pu améliorer ma pratique…

            Mais ceci n’est pas un acte de contrition. Après tout, dans ma classe, on étudiait bien les contes aborigènes de la lointaine Australie. Et j’avais souvent demandé à mes élèves pourquoi à leur avis il était important de témoigner du passé, pourquoi l’on parlait du devoir de mémoire, ce que cela pouvait changer pour eux de connaître ce que les vies d’avant leur avaient laissé, s’il était pire de transformer les faits, ou de les taire, de donner à savoir, ou de cultiver l’ignorance.

             Aussi cette conférence spectacle sur la mise en regard de deux héroïnes de l’Histoire dans deux temps et deux espaces différents, est la preuve que le travail est possible, qu’il est utile et qu’il est passionnant, hautement pédagogique et merveilleusement instructif, d’abord parce qu’il raconte des histoires fondatrices. Les rapprocher, ça c’est l’idée, parce que cela surprend, donc intéresse, et parce que cela permet de croiser les connaissances des uns avec les ignorances des autres et de permettre à chacun d’entrer en relation avec ce qui leur est inconnu, par la médiation  de ce qui peut leur être familier. L’humaine et universelle condition est là, toute entière, qui nous sépare par ignorance, méprise ou indifférence, et nous relie pourtant, dès que nous nous y intéressons, sans préjugés, sans peur et sans refus.

             La bonne idée aussi c’est de les rapprocher, pas seulement parce qu’elles témoignent de deux situations géo politiques qu’on peut trouver équivalentes, pas seulement à travers une thématique rationnelle ou philosophique, conceptuelle, tout ce que vous voudrez de savant, pas seulement parce qu’elle s’inscrit dans l’air du temps qu’impose une terrible actualité. Non, la bonne idée c’est de les donner à connaître à travers les émotions et les efforts intellectuels de la conférencière chargée de les transmettre.  C’est donc de changer la conférence en spectacle. Et là il faut admirer l’inventivité, la souplesse  du texte de Dalie qui permet cette alchimie entre plusieurs types et mêmes plusieurs genres narratifs et discursifs. Et là il faut admirer le travail de Sylvie Amblard qui par une mise en scène subtile, aussi peu visible qu’elle a dû être têtue, a réussi à transformer une situation réaliste en miracle théâtral. Et là il faut reconnaître à Dalie des aptitudes de comédienne : le travail et l’angoisse ont forcé le cabotinage naturel à devenir talent.

            Cette alchimie n’a été possible que parce que le véritable sujet de la conférence ou de la pièce, comme vous voudrez, c’est nous. C’est Dalie. C’est moi. C’est vous. C’est la femme que vous êtes, que vous allez être ou la femme à côté de laquelle vous existez, si vous êtes un homme. Après le spectacle, une élève de 5ème a dit : « J’ai bien aimé parce qu’elle nous a dit que c’était à nous de faire notre histoire ». – Que peut-on apprendre de plus à une enfant? » demande Béatrice Diarra son professeur, qui rapporte sa parole.

            Dalie m’a dit un jour « Etre une femme c’est combattre ». Si l’on n’est pas toutes des guerrières aux longs couteaux, de libres sorcières, des pucelles au bois dormant, des amoureuses, des empoisonneuses, des mères au foyer ou des stars de l’histoire, on est toutes des soldates. Ce qui m’a le plus touchée pourtant, c’est la fragilité que j’ai perçue d’un bout à l’autre de la pièce. Au lever de rideau, dans ce lever de jour, j’ai vu l’Antigone d’Anouilh au seuil de cette journée ultime qui la verrait se dresser, grandir, dire « non », ce matin où il  ne faudrait  pas  qu’elle soit  petite. La voix ténue de Dalie, ses joues creusées par la fatigue, sa silhouette menue, la dessinaient sur un fil, en équilibre, la volonté suspendue au-dessus de la peur. Elle s’habille, littéralement, de courage, et chaque silence contient un cri, qui ne se livre parfois que parce que nous-même retenons notre souffle, tant qu’il faut parfois un éclat de rire, pour nous libérer. Il ne faut pas confondre la force et le courage. Et je la revois encore quitter la scène : ses épaules  se soulèvent, crispées dans un geste d’ultime volonté ; elle est partie faire le job,  avec son cartable au bout du bras, comme une arme, qu’elle avait avant tenu contre ses seins, comme un bouclier. C’est le combat d’une vie, c’est le combat de Dalie. Et c’est notre combat quotidien.

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« L’ifrikya. Contrée immense où les tribus amazigh romanisées vivent en nomades ou en sédentaires dans des villages parfois collés aux montagnes des Aurès. Mais non loin  de là, des troupes arabes sont en marche à la conquête de nouvelles terres. La France. En fait la France n’existe plus. Le royaume de France, n’est plus : deux familles se disputent le trône. les Armagnacs ET les bourguignons. Les armagnacs promeuvent le français Charles et les Bourguignons l’anglais Henri. » Dialogue avec la Nuit. Jeanne d’Arc et la Kahina.

« J’aime me lever tôt. Je me sens libre enfermée dans la nuit, Quand tout le monde dort. Quand je suis comme la première levée le matin, je me sens bien. J’aime le silence. On n’est jamais seule le matin, le matin est pétrie des histoires de la veille et porte en lui, celles du jour. » Dialogue avec la nuit, Jeanne d’Arc et la Kahina.

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 » Lorsqu’ils arrivent, ils découvrent une femme enceinte  et un jeune homme à peine armé. Cela dure moins de temps qu’il n’en faut pour faire cuire une crêpe berbère sur ses deux faces. » Dialogue avec la nuit. Jeanne d’Arc et la Kahina.

Après une séance scolaire, Béatrice Diarra écrit : « Défi magistralement relevé avec les 5è! Première remarque d’une élève après le spectacle: « j’ai bien aimé parce qu’elle nous a dit que c’était à nous de faire notre histoire ». Que peut-on apprendre de plus à une enfant? Que peut-on lui apprendre de mieux? Il y a d’abord eu la parenthèse hors du temps, hors du monde de l’espace théâtral, de ce cocon chaleureux où tu as su nous faire sentir à notre juste place. Il y a eu ce texte magnifique vécu par ta personne entière (dans tous les sens du terme) et où tu as réussi à faire vibrer Jeanne et Dihya, à nous les faire aimer ainsi que toutes les femmes, que toutes les petites filles en nous et l’immense champ des possibles qui s’offrent à elles. Bravo d’ailleurs à Sylvie Amblard qui a mis en valeur ta parole lumineuse à travers une mise en scène (une scénographie ? Une chorégraphie ?) qui te colle à la peau. Et puis, il y a eu l’échange, moment incroyable où la communication s’est muée en communion (et je pèse mes mots). Ce temps de partage et d’émotion restera un moment marquant dans la vie des élèves et ils ne l’oublieront jamais. C’est déjà énorme mais bien au-delà de ça, il y a le chemin que tu leur as ouvert pour qu’ils se construisent plus librement. Quel magnifique cadeau ! Merci pour eux, merci pour ELLES, merci pour moi. Une fois de plus, tu m’as épatée ma formidable Dalie !!! »

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« On a la mémoire douloureuse. Et pour ces deux femmes, beaucoup ont  menti. Qui ? Ceux qui les aimaient. Ceux qui les croyaient. Ceux qui ne les aimaient pas. Ceux qui en avaient peur. Ceux qui les ont admirés. Ceux qui les ont utilisés. Ceux qui voulaient qu’on se souvienne de certaines choses et qu’on en oublie d’autres. Ceux qui les ont détestées. Ceux qui les ont méprisées et qui ont fini par les assassiner.  » Dialogue avec la nuit. Jeanne d’Arc et La Kahina.

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« Moi je les aime ces femmes-là. J’aime leur mystère. Le mystère de Jeanne, le mystère de Dihya, c’est le féminin. J’aime ces femmes, parce qu’elle n’abjure jamais leur féminité, elle n’abdique jamais.  Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas eu peur… Le courage, ce n’est pas l’absence de peur, ce n’est pas toujours la victoire. Le courage, c’est la parole, le courage, c’est le combat, le courage c’est y croire. Je veux que les petites filles, les jeunes filles, les femmes y croient. C’est pour ça que c’est important. » Dialogue avec la Nuit. Jeanne d’Arc et la Kahina.

Les plumes d’ailes et mauvaises Graines du 6 janvier : Denis Couturier, Aude Becker-Thenot, Sylvie Amblard (mise en espace), Dalie (auteure et porteuse de voix), Marie, Manue et en coulisses : Virginie Dietz, Mamie Josiane, Domice Dalbet.

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Merci à Lindita Gerdici pour les photos.

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