A la demande d’un tiers et De mon plein gré de Mathilde Forget
Je croise sa candeur farouche en Bourgogne, invitées comme primo-romancières dans des châteaux et des vins fameux, on se croise ; lauréate du crû on m’a installée sous la cheminée avec deux autres, ridicules mais élus, on signe, on trône. J’aime assez vite la vérité de son regard, on se croisera et l’on partagera la même rogne face à quelques invités dont l’arrogance et même le franc esprit supérieur donnent la nausée. Comme dit mon fils, bon, t’as écrit un livre mais t’as pas inventé un vaccin contre la mort. Mon petit garçon a raison, la littérature ne tue pas la mort, et mieux vaut être humble à écrire si l’on ne veut pas en crever comme une certaine grenouille qui n’avait pas le sens de la mesure.
J’aime
Mathilde Forget
parce qu’elle a une rage que je n’ai pas, un sens de la justice que je n’arrive pas à avoir, quand elle assiste à un scandale ; elle le dit. L’autre jour en regardant A Armes égales avec Demi Moore, je me suis dit, tiens, on dirait Mathilde Forget. Cette combativité, une colère féminine différente de la mienne, et je me suis dit tiens, je vais lire ses livres.
J’ai lu les deux, d’affilée, presque sans pause.
Le talent. C’est certain.
La finesse. C’est sûr.
La beauté. Evidemment.
Mathilde Forget a écrit deux textes à matière biographique, le premier A la demande d’un tiers, raconte une quête qui est une enquête d’une fille sur sa mère ; une mère morte lors d’un suicide. L’incipit s’ouvre sur une bagarre, entre sœurs, dont l’une doit être internée en psychiatrie. Ce n’est pas la narratrice, mais ça pourrait. Mais c’est pas elle. Le second texte à paraître s’intitule De mon plein gré. Comme réponse ambivalente du premier, la narratrice frôle la folie, mais les faits ne sont plus de seconde main, elle va déposer plainte…pour viol.
L’art de Mathilde Forget est un art de l’ellipse, de la digression poétique, du récit qui se découd pour se recoudre plus loin. D’habitude les esquives métaphoriques affaiblissent le fait ; pas chez Mathilde Forget. Dans le récit d’internement de la sœur puis de la vie de cette mère pianiste disparue, l’écrivaine raconte juste ce qu’il faut. Elégante comme j’ai rarement lu l’élégance, elle n’a pas peur de la vérité mais ne l’assène pas comme une massue, cela nous tombera plus tard sur la nuque. Dans Le magnifique et poignant petit livre – dont le format porte aussi l’émotion – De mon plein gré, Mathilde Forget déplie avec délicatesse la violence du dépôt de plainte, de ce crime de lesbophobie, de ce viol punitif qui a manqué coûter la vie de la narratrice. Comment peut-on raconter sans dire, sans revivre la violence, sans même la faire supporter au lecteur friand d’une impudeur vaginale ? Demandez à Mathilde. Le livre est un récit polyphonique d’une légèreté et d’une force inouïes.
Elle a tous les talents, le récit, le dialogue, le sens de la formule, le style et c’est un bonheur. Elle écrit en musicienne et possède un art de la fugue des plus grands.
Toute la mélancolie du corps écrivain joue sa vérité dans la construction ciselée, douce-amère et même drôle de ces deux livres.
J’ai lu, j’ai aimé.
Lisez, vous aimerez.
Mathilde Forget
A la demande d’un tiers – sorti en août 2019
De mon plein gré – A paraître le 24 mars 2021
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